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Anne Delbée et le spectacle vivant

Patrick duCome 30 janvier 2018
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© Emmanuel Orain

Anne Delbée est comédienne, danseuse, metteuse en scène. Un de ses omans, Une Femme Camille Claudel, a fasciné les lecteurs français et étrangers. Dès 1973, elle lançait le Théâtre musical au Festival d’Avignon. Elle a travaillé avec Antoine Vitez, Jean Dasté,  Jean Mercure,  Jean-Marie Serreau, Patrice Chéreau, Maurice Béjart. Elle fut la première femme à avoir été nommée à la tête d’un Centre dramatique national(le CDN de Nancy). Actuellement au Théâtre de la Contrescarpe à Paris, Anne Delbée, monte Requiem pour Camille Claudel . Elle nous confie ici quelques-unes de ses certitudes.

 

Le théâtre ?

A douze ans, je voulais être un « homme de théâtre » Le théâtre englobe tout, l’esthétique, la musique, la danse, l’opéra, la politique, l’intelligence, c’est la vie, c’est la conscience du monde. Le théâtre musical est le lien entre la musique tout d’abord qui doit demeurer un temps parallèle au jeu et ne doit pas l’illustrer. Et réciproquement une mise en scène ne doit pas illustrer une musique.

La danse ?

Dans ce que j’entreprends, la danse est là. J’ai beaucoup collaboré avec Maurice Béjart. Avec passion. Pour moi, la danse classique avec ses pointes c’est comme des alexandrins. Je reste fascinée quand l’art est au plus haut. Je suis une Janséniste qui danse ! Du reste, dès que j’entends de la musique, je danse. Sur n’importe quelle musique de jazz, du baroque au rock’n roll ! (Elle aime Iggy Pop)

L’opéra ?

Pour l’opéra, c’est différent. La parole humaine en est totalement absente à la différence du théâtre musical. L’opéra est le lieu de la parole surhumaine. C’est ce que je cherche au théâtre : le surhumain.

Le surhumain ?

Un spectacle dont l’action se déroule dans une cuisine, avec ses ustensiles et ses situations banales, là, je ne comprends pas ! Je n’aime que la tragédie. J’aime les grandes épopées humaines. Voyez cette image : quand ils arrivent au sacrifice, les suppliciés se mettent à chanter ou alors ils hurlent et vous constatez qu’ils changent de voix. Cette sorte de changement, est une élévation comme celle d’Andromaque, en symbole absolu, qui va subir le massacre de sa civilisation. Je précise que la femme, c’est Andromaque. En 50 ans de mises en scène, je fais ce constat que les femmes incarnent la force de résistance et l’intelligence. Je suis sensible à la politique, à ce qu’est la guerre. Fascinée par ces femmes qui vont jusqu’au bout. Prenons les Syriennes, par exemple, qui luttent pour nourrir leurs enfants, pour leur construire une tente. C’est l’homme et la femme qu’il faut sauver, c’est une forme d’égalité. J’avais monté « La guerre à deux voix » de Laurence Deonna, pour cerner cette question du pourquoi de la guerre. La réponse est que les hommes dans leur envie de monter à la mort pensent sauver leurs problèmes. C’est court ! Les femmes vont plus loin.

© Emmanuel Orain

Elles se révoltent, à l’instar de Lysistrata, contre le bellicisme des hommes…

Non, je ne suis pas d’accord avec ces mouvements de groupe. J’ai horreur des réactions en troupeaux. Dans Camille Claudel, je le dis, je n’aime pas les mots d’ordre. Les femmes ne sont pas des victimes.

Camille Claudel n’est pas une victime ?

Non, elle est grande, elle donne du courage. L’essentiel de Camille, c’est l’inverse de la victimisation. Elle nous dit aujourd’hui que même si le monde va de plus en plus mal, il faut avoir du ressort. Et elle semble témoigner que quoiqu’il arrive, tu te relèves. Tu fais face, comme Antigone ! En 1975, je parlais de Camille Claudel lors d’une émission de TV et de fil en aiguille j’ai monté en 1981 un spectacle pour 3 comédiennes, composé des morceaux de pièces de Paul Claudel mélangés à des réflexions de Rodin. Aujourd’hui avec le Requiem pour Camille Claudel, j’avais conscience en l’écrivant que personne ne comprenait Camille donc que personne ne parlait d’elle. D’elle, dans sa fibre d’artiste. Alors que le poids de la responsabilité de Paul, son frère, de sa mère, de Rodin créaient un nœud qui étouffait la véritable Camille. Il fallait débarrasser Camille de la femme aliénée, de la femme humiliée. En parallèle, j’avais écrit sur Michel-Ange, sur l’art, sur la Chapelle Sixtine (en écoutant Michel Stellet-Brin à l’orgue ) et j’ai fusionné mes textes pour donner ce Requiem pour Camille Claudel.

Grâce à votre livre, publié en 1982, Camille est redécouverte. il y a eu des films, il existe un musée Camille Claudel à Nogent sur Seine, des entretiens, des articles, des productions audiovisuelles…

Parfois, j’en suis triste puisque rien d’entier et de complet sur Camille n’existe à Paris. Camille est décentralisée. Quant à Adjani, elle pleure tout le temps dans ce film alors que Camille riait tout le temps. Elle rit dans ma pièce Requiem.

© Emmanuel Orain

Ecrire ?

L’écriture, c’est le plus dur d’écrire. Cela me rend malade mais je dois écrire, c’est vital**.

Vous avez joué l’Aiglon, comme Sarah Bernard, vous repreniez le rôle d’un homme…

En fait, je vous apprends que je ne suis pas du tout comédienne. Du reste, m’estimant moche comme un pou, je pensais qu’on ne m’engagerait pas. J’ai joué toutefois de ci de là. J’ai fait l’Aiglon par réaction à la formidable machine à broyer qui s’est mise en marche après le film Camille Claudel sorti en 1988 (dont le rôle-titre est interprété par Isabelle Adjani). On me sollicitait de partout pour des interviews, pour dire ce que je pensais d’Adjani, de Rodin sur les uns ou les autres. Je n’en pouvais plus. Des amis m’ont proposé de jouer l’Aiglon, ils estimaient que j’étais l’Aiglon car ils connaissaient ma passion pour Sarah Bernard. Du reste, je vais le rejouer au Festival de Michel Fau à Figeac en 2018. Toujours ce renvoi au théâtre des guerres : l ‘Aiglon, enfant, semble rêver, il est consterné par l’étendue de champ de bataille de Wagram. J’aime cette force que l’échec peut malgré tout donner. Giacometti disait qu’un artiste devait toujours aller à l’échec pour trouver et il ajoutait : “je m’avance en tâtonnant sur le fil invisible pour toucher le merveilleux qui vibre”.

© Emmanuel Orain

Le cinéma ? D’autres projets ?

J’aime Bergman, Fellini, Pasolini, Welles. J’ai l’espoir de réaliser un film. Bientôt. Le sujet est dans ma tête et existe dans un de mes livres et ce n’est pas Camille.

Propos recueillis par Patrick duCome

En animant son Masterclass au Théâtre de la Contrescarpe le 13 février, Anne Delbée jouera un morceau tiré de l’Aiglon. Elle mettra en scène Andromaque et le Misanthrope le 2 juin aux Grandes Ecuries de Versailles pour le mois de Molière.

Et jouera Andromaque au Festival de Michel Fau à Figeac du 22 juillet au 3 août 2018 Requiem pour Camille Claudel, actuellement au Théâtre de la Contrescarpe.

**Autres romans : Jean Racine, Danse,  Il ne faut regarder que l’amour, La 107 e  minute (autour du footballeur Zinédine Zidane)

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